Chaque minute qui passe, ce sont 200 millions de mails qui sont envoyés et 72 heures de vidéos qui sont téléchargées sur YouTube.
L’explosion des données et des objets connectés qui les captent constituent progressivement un monde parallèle, un véritable miroir digital qui renvoie une image de chaque individu et du système complexe que constituent ses choix et ses préférences.
La précision de ce miroir est un enjeu fondamental pour les entreprises. Capacité à anticiper les besoins, facilité à inventer et proposer de nouveaux services, elles ont tout intérêt à multiplier les interactions entre les individus et la sphère digitale.
Aux canaux du marketing digital s’ajoute le phénomène des réseaux sociaux : 76 % des internautes, soit 26 % de la population mondiale, y sont présents librement pour produire des contenus essentiellement sur eux-mêmes.
En 2020, nous serons entourés de près de 80 milliards d’objets connectés. Le miroir digital est un enjeu économique et civilisationnel sans précédent.
L’humanité augmentée possède déjà le don d’ubiquité. Le concept de miroir digital porte en lui-même ses propres limites.
D’abord parce que l’anonymat possible produit une image déformée, une image où les individus ont moins de censure et émettent des contenus plus radicaux. Google est en passe de créer un identifiant unique pour limiter ces effets de distorsions liés à l’anonymat.
Les frontières entre l’individu et le miroir s’estompent déjà. Il n’y a plus de distinction claire entre le réel et le virtuel. Parfois, le miroir prend le pas sur la réalité.
Mouvement inverse, l’individu s’étend dans la sphère numérique. Il y crée des affinités et de la valeur. Il choisit ses collectifs en fonction de l’offre de social médias et de communautés. Il compose un environnement à son image et cet environnement prend le reflet de ses propres lignes de force et de ses centres d’intérêt. Au fond, le don d’ubiquité existe déjà bel et bien.
L’individu existe dans la réalité matérielle et géographique, en même temps que dans l’espace numérique où ses idées circulent, ses jeux sont en cours, ses demandes trouvent réponses.
Ce n’est pas seulement la réalité qui est augmentée, c’est l’homme lui-même : sa capacité d’action, d’échange et de création. Sa présence est multiple, accélérée, diffuse et désorganisée.
L’entreprise voit son modèle fortement influencé par le nouvel individu augmenté. Elles affrontent des choix technologiques sans précédent pour réussir à traiter l’ensemble des données qui sont générées.
Mais au-delà de cet aspect technologique, il leur faut évoluer d’une ère où elles devaient se forger un avantage comparatif, se spécialiser dans le service où leur productivité était la plus forte, à l’ère de l’avantage adaptatif.
L’avantage adaptatif est issu du vocabulaire lié à l’évolution des espèces. Pour survivre, les espèces doivent présenter un avantage adaptatif, c’est-à-dire la possibilité d’évoluer rapidement en fonction de leur environnement. Les entreprises survivront si elles peuvent intégrer en permanence les nouvelles informations accessibles pour s’adapter à leur marché.
Quelle nouvelle condition humaine digitale ?
Pour Alain Mathecowitsch, la condition humaine est devenue "une situation d’interaction généralisée". L’homme était la mesure de l’action de l’État et de l’entreprise. Il est désormais revenu au centre du système, et il n’a plus d’autre limite à sa dimension que celle qu’il se donne.
La technique ne s’oppose plus à l’humain. Les deux s’hybrident en permanence. La responsabilité de ceux qui produisent la structure numérique est d’ordre philosophique. Nous sommes à l’aube de réaliser l’importance de l’émergence d’un "humanisme numérique". L’homme et la machine pourraient cohabiter et s’hybrider, aboutissant ainsi à une nouvelle forme inattendue de diversité.
Le digital est l’un des mots-valises les plus luxueux du vocabulaire managérial récent. Ce n’est pas un mot-valise, c’est un mot-malle.
Il est si riche et si noble qu’il est même entré au Comex de nombreuses entreprises avec une nouvelle fonction qui porte l’attribut digital sous diverses dénominations :
Mais de quoi s’agit il finalement ?
Le digital peut concerner un grand nombre de domaines très différents.
Selon les entreprises les priorités se portent sur un tiroir de la malle plutôt qu’un autre.
Dans beaucoup d’entreprises, on se focalisera sur les nouvelles formes de la relation client, les méandres multicanaux des parcours clients, leur connaissance et la prévisibilité de leurs comportements. Les implications sont dans la publicité ciblée, la relation plus directe et émotionnelle notamment par les réseaux sociaux, l’importance renouvelée de la relation SAV, voire le traitement de la réclamation, et surtout la distribution par internet et le m-commerce.
Dans d’autres, la priorité sera donnée aux nouveaux moyens d’innovation, qu’il s’agisse de technologies fortement digitalisées comme l’imprimante 3D ou que l’on songe à des moyens nouveaux d’accès à la création, issus de la digitalisation de la société, comme le crowdsourcing, l’open-source, etc.
Dans d’autres encore, on parlera de la modification profonde des produits surtout quand ils se dématérialisent entièrement (la musique, les livres, les appareils électroniques comme le GPS absorbés par des Apps, les documents) mais aussi dans tous les cas où le digital amène des changements dans les business modèles (comme le tourisme par exemple Airbnb, les low-costs, l’économie quaternaire par exemple Autolib, les objets connectés)
Dans d’autres encore c’est le Big Data qui sera à l’honneur, pour les propres usages de l’entreprise comme la prévision, l’analyse, ou en tant que produit en lui-même.
Souvent il s’agira aussi des RSE (Réseaux Sociaux d’Entreprise) c’est à dire de la révolution collaborative dans l’entreprise, pour son efficacité, son pouvoir motivant et comme source d’innovation.
N’oublions pas ceux pour qui le digital est synonyme d’amélioration des process internes ou externes, de la logistique à la fabrication, la distribution, la relation avec les fournisseurs, les processus RH (le recrutement, le développement, notamment par les MOOCs, etc.)
N’oublions pas non plus ceux pour qui le digital est d’abord un changement profond des S.I., bouleversés par l’arrivée des BYOD, des SAAS, voire de l’arrivée de Facebook sur les ordinateurs et son cortège de risques de sécurité.
Enfin, et ce n’est pas le moindre sujet, le digital peut aussi être la clef d’entrée dans de nouvelles façons de travailler, du travail à distance, à la valorisation de la curation, à l’organisation du travail en hiérarchies horizontales, à la révision profonde du rôle du manager, à l’aménagement des bureaux, au stockage des documents, etc.
Un CDO (Chief Digital Officer) au Comex est intéressant à court terme, aberrant à long terme.
Quand on regarde ces aspects ô combien différents et le fait, évident, que le digital concerne le moindre recoin de l’entreprise, il est clair que la place au Comex d’un CDO n’a de sens que comme un camp de base qui permettra aux autres de faire l’ascension de l’Everest digital. À plus long terme, il sera aberrant d’y être car le digital bouleverse tout, comme un tsunami et c’est donc à toutes les fonctions et toutes les unités de se mobiliser pour s’y adapter et en faire un avantage compétitif.
Le point commun entre les tiroirs : la stratégie RH de digitalisation des hommes.
En réalité, le seul point commun entre les tiroirs du digital est que le capital humain de l’entreprise doit être enrichi, modernisé. Pour cela il faut améliorer la définition (qu’appelle–t-on digitalisation de la main d’œuvre : la venue massive de geeks ou l’adaptation de chacun à un monde digitalisé ?) ; il faut définir la mesure (quel est le degré de digitalisation actuel, souhaité ? quels sont les axes prioritaires ?) et il faut surtout intensifier les investissement dans les hommes et leurs compétences. Le capital humain a rarement aussi bien porté son sens d’un « capital » qu’il faut entretenir et développer.
La digitalisation de la ressource humaine est un enjeu stratégique. Quelle que soit la place du DRH par rapport au CDO, la bataille de la transformation digitale passera d’abord par les hommes.
Le digital constitue un formidable réservoir de croissance pour les entreprises. Les entreprises françaises vont ainsi doubler leur taux de croissance en accélérant leur transformation digitale. Les modèles digitaux sont à très fortes économies d’échelle. Dans l’industrie, la numérisation des processus se traduit par des gains de productivité de 30 %.
Mais ces impacts économiques majeurs ne peuvent se concrétiser sans la prise en compte d’une dimension, tout aussi importante, voire davantage, que la dimension économique : la dimension culturelle.
Le Digital provoque trois grandes ruptures dans les entreprises et les organisations.
D’abord, un écrasement des hiérarchies et des silos, caractéristiques historiques du fonctionnement de la plupart des entreprises.
Ensuite, un rapprochement entre la technologie, le marketing et le business.
Enfin, une transformation des compétences qui concerne tous les individus, pas seulement les managers, les plus « technologues » ou les plus diplômés. Cette transformation est portée par un nouveau modèle de management de type « T-Shape ».
Ces ruptures apparaissent comme autant de pré-requis pour réussir la transformation digitale, dans un contexte marqué par un raccourcissement des cycles de vie de produits, des exigences d’agilité et de retour sur investissement à court terme.
Comment caractériser la culture digitale ?
Plusieurs éléments sont révélateurs de l’existence d’une posture digitale dans les entreprises : l’autonomie des individus, leur ouverture d’esprit, la flexibilité et l’esprit entrepreneurial, la capacité à prendre des risques et chercher à maîtriser les résultats, une communication plus simple, plus directe et plus transverse.
Comment dès lors insuffler une réelle culture digitale dans les organisations ?
Je suggère trois pistes prometteuses.
La première : encourager la transversalité et faire en sorte que les équipes soient capables de travailler en mode « Test & Learn », avec l’agilité nécessaire pour s’adapter au raccourcissement des phases de conception des produits et à la rapidité de leur mise sur le marché.
Seconde piste : sanctuariser dans les discours et dans les actes managériaux, même les plus anodins, le fait que le client est partout, que la technologie est partout et que le marketing doit être partout.
Finalement, la relation client d’aujourd’hui, telle qu’elle est vantée dans les approches 2.0 ou 360 °, n’est pas si nouvelle. Souvenons-nous des épiciers de campagne d’antan, capables de savoir à qui ils vendaient quoi, qui savaient réussir à leur manière le cross-selling et le up-selling et qui pouvaient initier une vente au café du village, la poursuivre sur la place de l’église et la finaliser dans son échoppe, sans oublier d’assurer le service après-vente… La notion de service n’a donc pas changé, que le village soit rural ou mondial. La simplicité et le service associé à une vente font toujours la différence. Le digital d’aujourd’hui a d’ailleurs recréé des formes de proximité que l’on connaissait autrefois…
Troisième idée : favoriser les capacités entrepreneuriales et la prise de risque, de manière à créer de la valeur. Les entreprises qui réussissent le mieux sont aussi celles qui font des paris sur l’avenir, qui encouragent la culture de l’innovation et favorisent la mixité des métiers avec confiance.
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