Du point de vue de la réglementation, un salarié est considéré comme senior à partir de 45 ans. Tandis que l’espérance de vie ne cesse de progresser (79,2 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes) et que les progrès médicaux n’ont jamais été aussi fondamentaux, le droit du travail prévoit qu’à 45 ans, une personne en activité professionnelle amorce sa deuxième partie et fin de carrière, avec toutes les implications que cela engendre.
Si nous disposons d’un horizon temporel d’environ huit décennies pour nous épanouir en tant que parent, travailleur, époux, ami, citoyen…, le seuil de 45 ans pour être qualifié de senior semble incompréhensible, voire absurde !
Deux chiffres clés sont à rappeler lorsque l’on évoque la situation des seniors: en France, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans est de 47,5% en 2015 (source OCDE) et seules deux personnes sur trois entre 55 et 59 ans ont effectivement un emploi. A l’heure où la question du maintien dans l’emploi des seniors se pose avec acuité, les plus de 45 ans doivent reconquérir leur juste place dans le monde du travail en tant que contributeurs actifs à la création de richesse.
Les entreprises qui misent sur les seniors sont loin d’être majoritaires. Ce serait même un doux euphémisme ! En effet, rares sont celles qui valorisent l’expérience de leurs collaborateurs au-dessus de 45 ans, leur offrent de réelles perspectives d’évolution de carrière, leur consacrent des budgets de formation, leur confient des projets stratégiques d’ampleur… Les entreprises préfèrent payer moins pour des compétences similaires à celles d’un travailleur expérimenté, l’expérience en moins. En renonçant à s’adjoindre les services d’un senior, les organisations font le choix délibéré de se priver de savoirs, de mémoire, de culture, de sagesse… Elles deviennent ainsi complices d’une normalisation du marché du travail dont les formes d’expression sont multiples.
Ce qui est frappant est le décalage existant entre la perception du monde de l’entreprise et l’ensemble des hommes et des femmes qui, même quinquagénaires ou sexagénaires, affichent encore beaucoup de vitalité, de dynamisme et d’appétit pour le défi et la nouveauté. Le culte de la performance, de l’efficacité et de la compétitivité qui a dominé le modèle managérial au cours des dernières décennies n’est pas étranger à ce phénomène de mise à l’écart des 45 ans et plus dans le champ professionnel. Pourtant, les talents ne sont-ils pas pluriels, complémentaires et hybrides ? Les équipes pluridisciplinaires, transgénérationnelles et intégrant la diversité au sens large ne sont-elles pas les plus productives économiquement et productrices de sens ?
L’origine étymologique de senior veut dire « seigneur, qui impose le respect ». Or, transposé au marché de l’emploi, il désigne en creux un étiquetage visant à traiter du statut des salariés que l’on souhaite mettre sur la touche.
Il existe un certain nombre de préjugés persistants sur les plus de 45 ans servant à justifier l’action de certaines entreprises: les seniors ont moins d’énergie et sont moins performants, ils ont des compétences obsolètes, ils sont dépassés par la technologie, ils sont souvent démotivés, leur salaire gonflé par l’ancienneté semble trop élevé au regard de leur productivité individuelle… Or, au-delà de ces clichés et idées préconçues, être senior recouvre une large palette de réalités: un senior peut être un jeune papa, il peut s’occuper de ses parents dépendants, il peut démarrer une activité de consultant, il peut vouloir transmettre ses connaissances et ses passions, il peut avoir des engagements associatifs et citoyens. Sans omettre qu’un senior peut disposer d’un pouvoir d’achat non négligeable.
Les entreprises ont tout à gagner à entretenir leur capital senior, véritable levier d’amélioration du climat social, de réduction du turnover et de diminution du taux d’absentéisme. « Cultiver » les seniors permet aussi de conserver des compétences socles et stratégiques au sein d’une organisation et d’assurer la transmission des savoir-faire et de la culture d’entreprise. En outre, les entreprises qui aiment leurs seniors maintiennent le pouvoir d’achat d’une partie de leurs propres clients et font société en agissant en entreprise socialement responsable.
Les seniors recèlent d’atouts pour l’entreprise, avec des savoir faire robustes, valorisables, monétisables. Ils constituent également une valeur ajoutée immatérielle qui se traduit par une capacité de discernement, une objectivité, une hauteur de vue, une maturité. Force est de constater que ces qualités sont très recherchées quand il s’agit de prendre des décisions dans un contexte devenu de plus en plus complexe et incertain. Sans compter leurs compétences managériales transversales issues de longues années d’expériences et situations de crise.
Contre toute attente, les seniors ne sont pas des agents ossifiés de l’entreprise qui résistent au changement. Au contraire, c’est parce qu’ils « ont de la bouteille », qu’ils ont acquis une sagesse par rapport à la vie qu’ils sont de formidables « passeurs » de connaissances, de talents, de vécus, de cultures mais aussi de mémoire et d’exemplarité… N’oublions pas que l’entreprise est un organisme vivant qui a besoin d’énergies plurielles et complémentaires pour fonctionner, produire, interagir avec son écosystème, et tout simplement exister. Faire sans les seniors reviendrait à se priver d’un vivier généreux de talents agissants et créatifs susceptibles de favoriser la croissance économique et sociale de l’entreprise.
Il est regrettable d’observer que peu d’entreprises ont cette « conscience des seniors » et réalisent leurs apports bénéfiques potentiels. Prises dans le carcan de logiques de cost-killing, elles prennent des décisions s’inscrivant dans des perspectives court-termistes immédiatement rentables. Or, les seniors ne sont pas naturellement associés à ce qui est performant et rentable. Ils semblent exclus de l’équation de la réussite. Alors, que leur reste-t-il à faire ? Se retirer paisiblement dans leur maison de campagne et profiter de leurs petits-enfants ? Se cantonner à des activités à but non lucratif dans le champ de l’humanitaire et du caritatif pour transmettre et aider en se donnant bonne conscience ? Devenir aigris et résignés à cause d’une société du travail qui ne veut plus d’eux ?
Pour les seniors qui refusent cette donne décidée par d’autres, souhaitent continuer d’exister professionnellement, parfois de manière plus cohérente avec leurs aspirations profondes, ont envie de contribuer au développement économique et social du monde, ou ont besoin de compléter leurs revenus, il existe une solution, celle qui exige de se prendre en main, de vouloir une autonomie professionnelle. Ce chemin consiste à se créer une activité génératrice de revenus dans le cadre de missions.
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