Qui doit prendre la main sur le « digital » ?
Le marketing, la communication, les systèmes d’information, la distribution ou le nouveau responsable des « Projets digitaux » ?
Cinq entités avancent leurs arguments. L’enjeu est loin d’être neutre, car cette révolution dépasse la seule dimension technologique. Celui qui pilote la Transformation Digitale porte une grande responsabilité.
La mutation informatique était volumétrique, la révolte du PC était individuelle, la rupture internet était interactive, l’invasion des mobiles était géostratégique. Et la révolution digitale ? Elle incarne tous ces bouleversements à la fois, vitesse, démultiplication des réseaux et « sur mesure » en sus.
Nous ne vivons pas une lutte de pouvoir interne comme les autres. Ni compétition d’egos, ni dialogue de sourds (la barrière du langage informatique, autrefois château-fort des DSI, étant abolie), la révolution digitale touche aux fondamentaux de toute organisation, à sa culture, à ses méthodes, à sa valeur ajoutée la plus profonde. Devant l’accélération du phénomène et le temps perdu à départager les impétrants (« le Digital, c’est moi » !), le risque que nombre de dirigeants se retrouvent dos au mur devient réel.
Qui gagne ce match interne ?
65 % des Chief Digital Officers nommés aujourd’hui viennent du marketing stratégique. Une vision efficace « canal médias/distribution » qui prime à leurs yeux (c’est le cas d’Orangina).
Derrière, en tête du peloton, apôtres du décloisonnement, les Indépendantistes mènent la chasse (16 %). A leur crédit, la préconisation d’une fonction réellement transversale, équilibrée et nouvelle, avec deux équipes jointes, l’une consacrée au marketing direct, l’autre plus opérationnelle, orientée à la fois communication et plateformes de knowledge management.
Au milieu du même peloton, les Reconvertis (10 %), partisans d’une fonction davantage axée sur le digital en tant que support technique pour tous (e.marketing, CRM, études, automatisation des forces de vente ou SFA…), à commencer par le marketing.
Enfin, les Résistants (9 %), souvent des ex-directions des systèmes d’information, ont préféré se replier dans leurs infocentres, web et architectures globales.
Les jeux seraient-ils faits ? Loin de là.
Le marketing met en avant sa triple capacité d’intégration (stratégies médias, international, unités opérationnelles). Les Indépendantistes s’arc-boutent sur leur capacité de négociation globale tout en transformant l’organisation en écosystème via des processus d’innovation ouverte et une maîtrise du rôle joué par les agences externes (choix fait par Carrefour ou Opodo), ainsi que le développement d’une meilleure fluidification des partages d’expériences. Le besoin de centraliser s’impose (parfois, jusqu’au PDG, en mode gestion de projet), mais il reste temporaire, les entreprises à la pointe de cette transformation (comme Lafuma) mettant rapidement en place des comités transversaux afin de partager à tout instant une vision homogène de la réaction des clients. Chez Air France ou Accor, même mouvement d’aller et retour avec le sommet, afin que le digital puisse assurer la cohérence de la mise en œuvre des nouveaux programmes.
Dans une lancée similaire se créent des académies dédiées (Bouygues et sa « Digital University»). 28 % des entreprises auraient déployé ce type de projet, 24 % seraient en train de les monter, mais 32 % n’auraient encore engagé aucun investissement et 16 % pensent que « c’est un enjeu pour l’avenir ». Bref, une entreprise sur deux prend le risque de se retrouver demain enfermée dans un piège. Chaque jour compte. Nous ne vivons plus au temps des « budgets » et des « assemblée générales ». La révolution digitale va très vite.
Si des fonctions SI peuvent se retrouver dans la position de l’aboyeur regardant passer la caravane du digital, pourquoi ne profiteraient-elles pas de ce virage essentiel pour se remettre en question, elles aussi ? Devenir des gestionnaires d’actif du capital immatériel que sont les données ? Des incubateurs internes ou externes ? Des garants de la cohérence entre le patrimoine d’information de l’organisation et ses innovations ?
Quid des Directions de la Communication ? Hier, nombre Dircom se concentraient sur la mise en scène idéale de la parole du chef et sa répétition (aujourd’hui contreproductive), plutôt que de prendre le train « amont » » de la réflexion stratégique. Mais le silo « communication », traversé de toutes parts, perd ses privilèges, et de sa prestance. La gestion des réseaux dépasse désormais la logique de coups et d’opportunités médiatiques. Pourtant, la communication reste plus que jamais un vecteur.
Le Digital ‘est pas affaire de répartition de périmètres ou de territoires. La puissance de feu du digital ne se mesure pas au nombre de ses soldats qui reportent au CDO. Le digital s’impose parce que le client s’impose partout dans l’entreprise, en H 24 et 7j/7. Relations, expériences, dialogues, parcours, segmentations, temps réel, customisations,… autrefois (soit vers les années 2011, 2012, il y a un siècle !) l’entreprise se contentait de mesurer sa « share of voice ».
Désormais, s’ajoutent autant de gâteaux avec chacun leurs parts de « buzz », de « search », de marché, de tout… Le point de vente passant même au second plan. Multi-canal, cross-canal, omni-canal,… qui n’a pas son canal ?
Qui ramassera l’emprise des données ? La question ne se pose point en ces termes.
Qu’il soit communicant, informaticien ou expert en marketing, celui qui occupera le job de « CDO » portera avant tout une responsabilité majeure : l’intégration totale du digital dans toutes les fonctions et opérations de l’organisation.
Quitte, à terme, à ce que son poste disparaisse de lui-même, dès lors que la digitalisation aura atteint son niveau de maturité optimal. Cet enjeu gagnant-gagnant passera aussi via des directions générales qui s’approprieront cette priorité en mettant en avant ses liens avec la stratégie globale de l’organisation, la rapidité de réaction et d’adaptation qu’elle provoquera, le nécessaire rattrapage en matière de culture technologique pour les plus de 30-40 ans (organisation d’un dialogue intergénérationnel avec les « digitals natives »), l’agilité névralgique entre métiers et expertises…
Chief Digital Officer, Data Scientist, E-Influencer, Social Media Manager, Creative technologist, Digital Evangelist… chaque jour de nouveaux métiers, des compétences originales se révèleront.
Que vous le vouliez ou non, que vous le sachiez ou pas, la révolution digitale a déjà pénétré chez vous, par l’entrée de service, le garage, le grenier, ou par effraction. Anticipez, gérez, menez cette mutation dans les meilleurs délais. Un univers radicalement inédit s’éjecte de vos câbles en fibres optiques, antennes relais, smart devices et « boxes » noires ou blanches.
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